Mines et bobines


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Verdillon III fut un de nos films primés au Festival du film Industriel qui se tenait alors à Biarritz. Quand nous avons été choisi pour le réaliser, nous avons pris conscience des difficultés techniques particulières de ce tournage.

En effet, à 1000m sous terre, ces mines étaient sujettes à la présence de grisou…
Cela imposait que tous les appareils électriques devaient être anti-déflagrants, que la caméra film devait être mécanique et que l’enregistreur Nagra devait être enfermé dans une enceinte de protection, et donc commandé de l’extérieur et connecté au micro par des prises protégées.
Le problème du magnétophone fut réglé sur place avec les équipes des Houillères de Provence que notre client Alain Gilbert Fichet avait mis à la disposition de nos techniciens
Le problème de l’éclairage, lui, fut résolu par l’arrivée depuis les Houillères de Lorraine d’un équipement de 1,2 tonne qui comportait trois projecteurs de 500W  HMI
Restait le problème de la caméra qui devait à la fois être mécanique, et donc ancienne,
et utiliser les objectifs les plus performants de l’époque puisque nous devions avec très peu de lumière éclairer de grands champs.

Je savais que l’un des meilleurs mécanisme de croix de malte existant était celui des caméras Bell & Howeill puisque beaucoup des studios d’animation l’utilisait pour la prise de vues. Je savais aussi que le distributeur de ces caméras était à Los Angeles, Alan Gordon.

Il se trouvait qu’à cette époque, Clapmedia en la personne de son Président Patrice Legendre m’avait proposé d’entreprendre avec lui un tour du monde de trois semaines pour réaliser au bénéfice de Spie Batignolles quatre prises de vues aériennes de constructions réalisées par l’entreprise.

Le parcours prévu était Rio de Janeiro – Porto Alegre – Montevideo – Surabaya – Sri Lanka, cela nous imposait le passage par Los Angeles … Quelle chance !

Arrivé à LA, je me rendais directement chez Alan Gordon himself, et lui demandait de me trouver un « EYEMO » (c’est le petit nom de la Bell & Howeill dont la version 16mm fit les beaux jours du démarrage de la RTF) Ces caméras étaient celles que les opérateurs du Signal Corps utilisaient lors du débarquement des troupes alliées en France. Mais mon objectif était d’en trouver une à l’état de neuf pour cette production. Toutes celles que me montrait Alan étaient déjà bien usées et devant mon insistance, il me demanda de revenir le lendemain en me promettant une très bonne surprise.
Effectivement le lendemain, il ouvrait devant moi un emballage en papier huilé d’époque pour découvrir cette caméra neuve provenant des stocks de l’armée.
C’était génial et inattendu, mais un nouveau problème se posait, le tournage débutait trois semaines plus tard et il fallait adapter sur cette caméra à tourelle trois objectifs, les dernières lentilles Zeiss grande ouverture qui venaient de sortir et dont les montures étaient des Arriflex. Là encore, Alan avait des ressources inespérées … IL me dit qu’il connaissait un mécanicien de cinéma : Romano Zihla qui avait mis au point les systèmes de télécommandes des caméras 70mm du film « Grand Prix » et qui connaissait parfaitement les Bell Howeill pour s’en servir lors des prises de vues d’action en « Crash test » des longs métrages hollywoodiens.

Il l’appelle et me le passe, je commence à lui détailler ma demande et au bout de quelques minutes, il me dit « mais vous êtes français », je lui réponds par l’affirmative, et il enchaine « moi, je suis belge » De là, nous prenons rendez vous et je débouche dans un atelier à l’image de celui de Pierre Durin, l’artisan des effets spéciaux des films de Gérard Oury : la 2cv du « Corniaud », les voitures télécommandées qui permettaient la traction des planeurs de « la Grande Vadrouille », la moitié de DS du « Cerveau ». Mais ceci est une autre histoire.
Donc un superbe atelier de micro-mécanique !

Donc, nous convenons avec Romano Zhila de la fabrication de la cuvette Arri en urgence pour que je puisse démarrer le tournage à mon arrivée en France.
Tout ce qui fut dit fut fait, Romano, avec lequel nous sommes restés en contact plus tard, tint sa parole et nous avons démarré à temps le tournage à Gardanne avec le chef opérateur Yves Pouffary et mon assistant Gilles Sourice.

Mais l’usage de cette caméra nous imposait d’autres contraintes, elle ne pouvait utiliser que des bobineaux de 30m (1′ de tournage) que nous devions fabriquer à partir de bobines classiques de 122m chaque soir ou en cours de journée dans notre changing bag.

Autre souci subsidiaire, à cette époque, il existait un contrôle des changes et le montant disponible sur la carte Visa n’était pas suffisant. Je m’étais rendu au bureau American Express car je disposais d’une carte Amex, et leur avais demandé comment faire. Leur réponse fut très simple, « établissez nous un chèque sur votre banque française et nous vous créditons le montant ici » …

Comme quoi, les contraintes quelles qu’elles soient ne touchent que ceux qui sont obligés de supporter la loi et les règlements, ce qui n’est pas le cas de tout le monde !