Caméraman d’actualité au festival de Cannes


Mon père avait suivi comme reporter des actualités cinématographiques pour la Fox Movietone le Festival de Cannes depuis sa première édition. Du temps où les petits écrans étaient absents de nos foyers, les seules actualités en images étaient celles présentées dans les cinémas, en première partie des grands films et souvent accompagnées de courts-métrages.

Il n’existait alors que cinq journaux d’actualités (environ 10′ avec des sujets de 30″ à 2’30 ») – Pathé, Eclair, Actualités Françaises, Gaumont, Fox Movietone – et chacun ne comptait que cinq opérateurs. Il n’y avait donc que 25 reporters cameramen qui sillonnaient la France et le monde, et qui étaient connus « comme des loups blancs ». 

Tout petit, je me rappelle avoir accompagné mon père à Cannes. En rencontrant sur la Croisette le directeur du Carlton, Monsieur Méro, la discussion avait tourné sur le choix que mon père avait fait de se loger au Martinez qu’il trouvait alors plus moderne et dont le directeur était Monsieur Dal Torrione… Monsieur Méro : « Mais Jean, vous nous boudez ? » Sachant que les opérateurs d’actualités étaient accueillis gratuitement, que ce soit au Martinez ou au Carlton ! Jeune remplaçant de mon père, j’ai bénéficié de ces mêmes faveurs pendant les années où j’ai continué à travailler pour les actualités de la Fox Movietone. L’accueil réservé par l’Association des intérêts de Cannes en la personne de Monsieur Mollard a toujours été exceptionnel, et nous le lui avons rendu volontiers en diffusant l’image de Cannes dans le monde.

En 1976, nous avons eu la chance, mon épouse Patricia, alors preneur de sons, et moi-même, de filmer pour la Fox les grands acteurs sous contrat chez eux, qui étaient réunis à Cannes pour présenter le film « Il était une fois Hollywood ».

Dans le cadre somptueux des jardins d’Eden Roc, adorables comme de grands professionnels qu’ils étaient : Cary Grant, Cyd Charisse, Leslie Caron, Fred Astaire, Gene Kelly, Johnny Weissmuller étaient à notre disposition. Leslie Caron m’a proposé de réaliser une petite séquence dans la roseraie, Fred Astaire et Gene Kelly exécutaient pour moi un pas de danse dans l’escalier de l’Hôtel du Cap. Pendant ce temps, Johnny Weissmuller lançait le cri de Tarzan… Préoccupé par la prise de vues, je me retourne vers Patricia pour lui demander d’enregistrer ce son caractéristique (il faut savoir que nos caméras de reportage 35mm Arriflex ou Caméflex, très bruyantes, ne permettaient pas d’enregistrer de son synchrone, et que la prise de son était faite à part pour reconstituer une bande sonore au montage). Donc Patricia s’arme de courage pour demander à Johnny Weissmuller, le Schwarzenegger d’alors, un géant de 2 mètres, de relancer son célèbre cri du roi de la jungle. Il reprend son souffle, entame cette onomatopée et s’enroue au beau milieu. C’est comme cela que Patricia a enregistré le seul authentique cri de Tarzan qui se termine dans un râle ! L’air de Cannes devait ce jour-là être moins pur que celui d’Hollywood…

Bien d’autres aventures sont survenues pendant les différents festivals, et je me souviens de la gentillesse de Louisette Fargette qui nous donnait des « carnets blancs » – habituellement réservés aux hôtes de marque – nous permettant d’assister aux projections quand nos reportages nous en laissaient le temps.

Comme nous fréquentions plusieurs fois par semaine les bureaux du fret Air France pour acheminer nos colis de pellicule 35mm vers Paris, Londres ou New York, nous y avions beaucoup de bonnes relations. Un jour, pour l’arrivée de Gina Lollobrigida, le responsable de la presse du festival s’était mis d’accord avec les autorités pour bloquer les cameramen et photographes dans l’aérogare. Or nous tournions cette fois-là avec Charles Gérard un film en 35mm Cinémascope, et notre équipement pesait une bonne trentaine de kilos. Nous nous sommes plaints de cette adversité auprès de nos compagnons du fret, qui nous ont répondu « Pas de problème ! », et la presse claquemurée dans l’aérogare nous a vus installés sur un escalier de débarquement, aux premières loges, près de celui qu’allait emprunter Gina pour sa descente d’avion !

Une autre fois, arrivant aux abords de l’ancien Palais, près du bar « Le Festival », nous nous garons devant un car de CRS pour débarquer notre matériel (toujours volumineux !). Lorsque je me suis penché au fond du coffre pour attraper ma caméra, le pantalon de mon smoking s’est ouvert horizontalement de la fesse gauche à la droite, provoquant une grande rigolade chez les gardiens de la paix. Je n’avais pas beaucoup de temps avant la montée des marches, mais heureusement une boutique de prêt-à-porter jouxtait le bar « Le Festival » : changement de pantalon rapide, grands sourires aux responsables de l’ordre et c’était reparti !